Lucien Lécureux (9 août 1880-4 juin 1918)
« Il y a tant d'âmes enfoncées dans leur égoïsme qu'il est néces-
saire que d'autres âmes, se dévouant, fassent pencher la balance
de la justice. Je demande à Dieu qu'il me permette d'être de
celles-là. » Cet extrait de la correspondance de Lucien Lécureux
le peint tout entier.
Sa vie de la terre fut apparemment unie comme le cours d'un
beau fleuve. Son intelligence et son travail lui valurent des
succès officiels que son humilité se refusait à rappeler. Même pour
ses amis les, plus intimes, il ne soulevait pas le voile dont il
entourait une carrière heureusement remplie. Agrégé des lettres,
archiviste paléographe, professeur aux lycées de Laval, de
Nantes et du Mans, il n'étalait pas une culture que l'on devinait
profonde et fine. Son âme s'affirmait seule, sans se livrer, et
ceux-là seuls qui l'approchèrent de très près n'en pourront oublier
la séduction. Ses yeux de Celte étaient profonds et doux ; son
attitude réfléchie et pleine de bonté. Son allure souriante cachait
une fine gaieté. Son humilité était telle qu'il a toujours ignoré,
et comme naïvement, l'influence qu'il exerçait sur ses élèves
et sur ses amis. Sa sensibilité très affinée n'excluait pas le charme.
Sa conception mystique de la charité englobait le rachat des
fautes du prochain. Et, pour être complet, il conviendrait de
louer l'élégance de son style, la profondeur de son érudition, la
mesure de son goût dans le culte des œuvres d'art, la vigueur
de son esprit nourri des meilleures traditions littéraires.
Ce philosophe chrétien avait présenté comme thèse d'École
une étude sur la « Bouquechardière » de Jean de Courcy ; il ne
l'a pas imprimée. Mais il était par-dessus tout archéologue,
et sa monographie de Sainl-Pol-de-Léon est à tous égards un
modèle ; sa participation au Congrès archéologique de Brest, en
1914, fut considérable. Il préparait une étude sur l'iconographie
satirique de la fin du moyen-âge, à laquelle se rattachent ses
travaux sur des peintures murales découvertes dans la Mayenne
et ses recherches sur la légende d'Avenières (Moyen-Age. 1910).
Pour accomplir le devoir que les circonstances exigeaient de
sa conscience, Lécureux n'avait pas hésité à quitter une femme,
collaboratrice délicate de son travail, et un foyer qui devenait
chaque jour plus cher à son cœur. Réformé d'avant-guerre, il con-
tracta un engagement spécial en octobre 1915. Caporal, sergent,
puis adjudant après un stage à une école de groupe d'armées dont
il sortit avec un excellent classement, il reprit à son régiment le
commandement d'une section ; effrayé tout d'abord des respon-
sabilités qui lui parurent très lourdes, il n'eut pourtant nulle
défaillance ; le souffle qui enveloppait d'une lueur mystérieuse
et voilée ses yeux si doux lui donna assez de force pour chasser
toute hésitation et mettre en harmonie son devoir avec l'enthou-
siasme du sacrifice voulu. En février 1918, il écrit : « Le moral est
admirable. Notre capitaine, agrégé des lettres, en est en extase. »
Tombé à Moulin-sous-Touvent, au nord- d'Attichy, pendant
un violent bombardement qui faisait présager une attaque
ennemie, l'adjudant Lécureux fut enterré dans le cimetière
militaire de Saint-Pierre-lez-Bitry (Oise), au bord de la route
d'Autrèches (1).