Gustave Valmont (24 juin 1881-6 septembre 1914)

Il est de ceux que l'on vit accomplir cette chevauchée magni-
fique de 1914 chargée de barrer la route aux étendards ennemis ;
s'il n'a pas été épargné, sa mort du moins, pour la plus noble des
causes en un pareil moment, fut le meilleur couronnement de
sa vie. Il a été tué en effectuant une reconnaissance dans les
champs de Fère-Champenoise, à l'une des heures les plus criti-
ques de la guerre. Trois semaii es plus tôt, il écrivait : « Mon
bataillon n'a pas encore été appelé à la frontière, et ma seule
souffrance, parmi tous les motifs que nous avons d'espérer la
victoire, est l'impatience de n'être pas encore là-bas ! Mais l'ordre
de départ peut arriver d'un moment à l'autre, et il me trouvera
non seulement prêt, mais plein d'une ardeur accumulée depuis
des années. »
Flis d'un médecin parisien, élève du lycée Condorcet, Gustave
Valmont avait conquis les grades de licencié en droit et ès lettres
(philosophie), et préparé un travail sur la métaphysique de
Sully-Prudhomme. Car ce philosophe était un poète : trop tôt
ravi aux letties qu'il honorait, il n'a laissé qu'un volume de vers,
L'aile de l'Amour (1911), où l'élégance de la forme se marie heu-
reusement à la profondeur de la pensée, où le scepticisme semble
entrer en lutte avec la foi du chrétien (1). On a écrit de lui :
« Cette intelligence n'était pas seulement belle et ouverte et
curieuse, elle était aussi d'une parfaite lucidité. Jamais cet
homme ne se paya de mots. Avec une juste défiance des idées
toutes faites et des jugements préconçus, il portait en lui un
extrême besoin d'ordre, de régularité et d'harmonie (2). »
Ce poète ne négligeait, pas l'histoire, spécialement celle de
la Normandie, province à laquelle l'attachaient des liens étroits
de famille. De sa thèse d'École, consacrée à la « Question des
subsistances dans la généralité de Rouen au xvme siècle »,
et très appréciée, il a seulement détaché quelques pages impri-
mées dans le volume du Congrès du millénaire normand en 1912 ;
bientôt après paraissait, dans Y Annuaire de l'Association nor-
mande (1913), l'esquisse d'une histoire de la ville de Caudebec-
en-Caux et de sa région, qui dénotait chez ce jeune confrère une
faculté d'assimilation et de synthèse, une élégance de style
aussi qui, dans l'érudition comme ailleurs, doit trouver sa
place (3).
Mais l'érudition et la poésie n'avaient pas qualité pour saisir
tout entier cet esprit fin et délicat, rêveur et artiste. Il abandonna
un roman commencé lorsque la mobilisation, que son patrio-
tisme accueillit avec joie, vint le surprendre. On assure que le
démon de la politique eût été capable de le tenter quelque jour,
et qu'en cherchant ainsi pour sa belle intelligence un nouveau
champ d'activité, il n'aurait eu garde d'ailleurs de délaisser
les belles-lettres, où l'attendait la notoriété.