Frédéric Duval (25 août 1876-20 juillet 1916)

Originaire de l'Orne, élève du petit séminaire de La Ferté-Macé,
Frédéric Duval était un Normand de race, élevé en Normandie,
marié plus tard en Normandie, très attaché à sa province. Venu
à Paris pour préparer la licence ès lettres et le concours de l'École
des Chartes, attiré vers celle-ci sans doute par l'exemple de son
oncle, archiviste de l'Orne, il demeure en contact avec ses com-
patriotes, et, lorsqu'il cherche un sujet de thèse, c'est un sujet
normand qu'il choisit : Essai sur Marguerite d'Angoulême et
Charles d'Atençon, étude d'histoire générale sur le règne de Fran-
çois I et d'histoire régionale sur le duché d'Alençon pendant le
deuxième quart du xvie siècle. Ce travail est resté manuscrit, et
les quelques communications qu'il a données au Bulletin de la
Société historique et archéologique de l'Orne, à la Revue normande et
percheronne, ont trait à d'autres sujets locaux.
Plus tard il mit sa culture intellectuelle au service de la Revue
des questions historiques, dont il fut durant quelques années le
secrétaire dévoué ; écrivit une brochure sur les « Terreurs de
l'an mille » (1908) ; publia une étude sur les « Applications
pratiques de la doctrine de l'Église sur la guerre au moyen
âge » (1) ; organisa la bibliothèque de Saint-Denis, dont le «Cata-
logue du fonds moderne » fut imprimé en 1914, et classa les archi-
ves de cette ville sans pouvoir terminer à cette date l'inventaire
qu'il avait entrepris. Plusieurs années furent en outre consacrées
à la préparation d'un ouvrage, récompensé par l'Académie
française, pour lequel une vaste enquête avait été nécessaire ;
Les livres qui s'imposent (1912), dont il a paru huit éditions
successives, ce qui dit assez son succès. Il le définit «un répertoire
critique et doctrinal, qui.tend à imprimer aux esprits une orien-
tation précise et qui est lui-même le reflet d'une pensée ». Cette
pensée, c'est de guider les esprits d'une culture courante dans le
choix de leurs lectures, en faisant choix des livres « qui ont paru
joindre à une orthodoxie rigoureuse des vues nettes et précises
sur les principaux problèmes qui nous sollicitent ».
Et ceci nous amène à présenter Frédéric Duval sous un jour
nouveau, celui d'apôtre, de prosélyte convaincu, qui poursuit
une tâche sociale avec une énergie que rien ne déconcerte. Cet
apostolat, il l'avait commencé au cours de son année de service
militaire, il l'a continué à la Conférence Olivaint, à l'Association
catholique de la Jeunesse française, au patronage de Picpus,
puis à celui de Montrouge, qui lui a dû une impulsion nouvelle,
à la colonie de vacances qu'il a créée à Plougasnou (Finistère)
pour les jeunes gens auxquels il s'intéressa. En s'affiliant à la
section française de la commission instituée à Louvain pour
l'étude du droit des gens d'après les principes chrétiens, en prépa-
rant, avec Albert de Mun, les bases d'un institut social catholiquepour l'élite de la jeunesse intellectuelle, qui fut son dernier pro-
gramme et son dernier rêve, il entendait éveiller des vocations,
susciter des énergies, lutter contre une propagande adverse
qu'il estimait dangereuse ; et de l'impulsion qu'il ne cessait
de donner à l'une de ses œuvres, il a expliqué lui-même la
genèse et les résultats dans une monographie au titre significatif :
Une école de foi et d'énergie (1).
Son âme généreuse, ayant horreur des sanglants ravages de la
guerre, avait été attirée vers le mouvement qui s'était dessiné,
dans toutes les nations, en faveur de l'arbitrage et de la paix.
Mais, quand sonna l'heure de courir à la défense des frontières
attaquées, quand il fallut se résigner à quitter deux êtres chers
privés depuis plusieurs années déjà de l'affection maternelle
et sur qui se concentrait sa tendresse, il n'hésita pas une minute :
son devoir était tout tracé, il refusa des postes qu'il jugeait
d'embuscage, promit aux siens d'être « courageux sans folie »,
et fit généreusement le sacrifice de sa vie. Il voulait être, et fut,
jusqu'à sa dernière heure, un entraîneur d'hommes, fier de sa foi,
de son ardeur d'apôtre et de son esprit de solidarité, qui s'imposa
à l'estime des hommes qu'il commandait, et qui n'oublia, au
milieu des préoccupations et des dangers, ni ses projets sociaux
ni ses études favorites.
Frédéric Duval avait décidé de noter au jour le jour ses impres-
sions de guerre et les événements auxquels il serait mêlé. Le
sergent de mitrailleurs au 319e d'infanterie, tué à Deniécourt,
entre Chaulnes et Péronne, et décoré de la médaille militaire un
mois après, avec une élogieuse citation, a tenu parole. Le jour
de sa mort, on a retrouvé sur son corps, troués par les éclats
d'obus qui l'avaient frappé en pleine poitrine, deux carnets en
papier quadrillé, couverts d'une fine écriture au crayon ; d'autres
ont été découverts dans ses bagages, et il y manque peu de chose
pour qu'ils soient au complet. Des mains pieuses les ont livrés à la
publicité (2) ; ils le méritaient à tous égards. Son âme et sapensée s'y reflètent tout entières. On voudrait en détacher de
larges pages ; en voici une parmi les meilleures : « Lundi 21 sep-
tembre 1914. La cathédrale de Reims brûle. Un sanglot me serre
à la gorge. Pour que les soldats ne voient pas mon émotion,
je m'engouffre dans une ruelle déserte... Quand je rentre, je
leur parle ; ils s'émeuvent et leurs yeux se brouillent. La bataille
formidable ne compte plus. Quinze siècles de foi et d'amour ont
imprégné le peuple, qui se sent frappé au cœur. Sa colère me
plaît. C'est une fusée d'imprécations. Fureur bénie ! La race
n'est donc pas morte 1 Elle vibre avec intensité, se reconnaît
et retrouve son destin. Foi contre foi, pensée contre pensée,
race contre race. Chaque pierre qui tombe, c'est une âme qui
meurt et qui s'échappe chargée de colère, lourde d'espérance,
semeuse d'artistes et de croyants. La terre de France tressaille
de douleur et de désir. L'affreux chaos se transforme en chantier ;
l'incendie en apothéose. Notre haine veillera sur ses décombres.
Il faut des ruines sacrées pour attester la barbarie, pour légitimer
la victoire, pour faire germer la résurrection ! »